La météo n'est pas des plus ravissantes. Il pleut, il fait froid, un temps de chien. Tout ce qu'il faut pour une mauvaise journée, hormis un petit détail: les affaires courantes du Ryoushi étaient là pour sauver la mise. Encapuchonné et bien camouflé du mauvais temps dans son épais manteau de cuir ébène, Rauresu avançait à travers les pavés glissants des quartiers populaires. Les mains plongées dans son veston d'encre, il tenait fermement une lettre frappée du sceau de la prestigieuse garde Cerberus. Contacté il y a plusieurs semaines par un compagnon de longue date -un colosse Valkor, et pas des moindres.- il s'agissait en réalité d'un capitaine de la garde avec lequel il avait sympathisé lors d'un de ses précédents contrats. De nombreuses rumeurs laissaient présager un prochain retour de la race reptilienne tant crainte par les habitants de l'Empire: les Reivens. Ces barbares auraient, selon certains ragots, laissés des Artefacts derrière eux afin de faciliter leurs déplacements entre les îles. Sa réputation l'ayant à nouveau devancé, ses services étaient déjà connus de la Crinière grâce à leur excellence et leur profondeur.

De par sa profession, Rauresu était devenu un brillant enquêteur, capable d'obtenir des informations des plus secrètes et de connaître les positions des Artefacts les plus cachés. Fin interrogateur, son affaire l'avait amené à voyager d'îles en îles afin de collecter les tuyaux nécessaires à l'aboutissement de son dossier. D'expérience, le Raïken savait au préalable que ses rumeurs n'étaient pas fondées et reposaient plus sur des spéculations populaires que sur quelque chose de sérieux. Il ne s'était pas trompé: une fois sur les lieux renseignés, pas un seul indice ne lui permettait de confirmer les soupçons qui étaient devenus l'objet de son enquête. Ses nombreuses connaissances magiques lui avaient permis d'isoler certaines reliques, peut-être étaient-ce celles que quelques voyageurs aperçurent dans des zones risquées de l'Empire. En réalité, il ne s'agissait que de mana cristallisé de manière naturelle, mais rien de circonstance à dépasser ses connaissances déjà bien plus que suffisantes pour ce type d'affaire. Pour Rauresu, l'affaire était close, et il venait à présent chercher son dû après ces nombreuses heures à voguer dans les nuages.

Arrivé en bordure de ville, d'un pas nonchalant mais assuré. Bientôt, il distinguait les lueurs des lampes à huile que laissaient filtrer les tissus mouillés des tentes. Un avant-poste reculé, un campement de fortune avait permis à la garde Cerberus de s'installer quelques temps dans les alentours afin d'assurer leur tâche. De nombreux gardes, plus louches les uns que les autres, restaient devant les palissades de bois hérissées de pointes. Armés de hallebardes et prêt à faire face à n'importe quelle menace. Ils avaient bien des gueules de truand, et avaient choisi de mourir en combattant l'ennemi plutôt que de se faire abattre comme des lâches. Une certaine perspective de l'honneur que le Raïken comprenait totalement, mais à laquelle il n'adhérait sûrement pas. Sa marche terminée, ses bottes souillées de boue et d'herbes vinrent claquer contre le plancher de fortune construit à l'aide de simple buches de bois. Le visage à moitié éclairé par la lueur d'une torche de la plus grande tente, l'enténébré s'adressa au guetteur en lui tendant la lettre parsemée de gouttes d'eau. Bientôt, il ferait à nouveau face au colosse d'argent qu'il connaissait.

- « Je suis attendu. » lança-t-il d'un timbre mystérieux, le visage toujours caché par sa capuche.

Le garde pénétra dans la tente, le message de l'inconnu en main. Loki était là, discutant avec un des hommes de la Garde. Le temps n'était pas propice à un départ rapide et ils en discutaient. La route qui menait à Midgard n'était pas sans danger et la Mer de Brume ne laissait aucune chance aux malheureux qui tentaient la traversée avec ce genre de temps capricieux. Du coin de l'oeil, le colosse remarqua le vigile en faction. Se détournant complétement de son vis-à-vis, il se rapprocha de l'homme. Ce dernier tendit le message à son capitaine.

- Un homme encapuchonné se trouve à l'entrée, Capitaine. Il dit que vous l'attendez et m'a donné ceci pour vous.

Jetant un oeil vers le document, il lut rapidement les termes de celui-ci. Il reconnut d'office le document en question. L'homme qui se trouvait au dehors était effectivement attendu. Rauresu... Cette foutue canaille avait trainé dans sa mission et Loki devait admettre qu'il n'espérait pas le revoir avant son départ. Bien. De toute façon, il connaissait déjà le résultat de sa mission. Pour changer.

- Fais le entrer. Yvan ? On reparle du retour plus tard, j'ai besoin de voir quelqu'un seul à seul. Que l'on ne me dérange plus sans avis contraire de ma part. Sauf si ces maudits Reiven déboulent dans le camp évidemment !

Les deux hommes sortirent sans demander leur reste. Un ordre de l'Argenté n'était jamais contesté. Le retour pouvait bien attendre une journée de plus de toute façon. Alors qu'il se trouvait seul, il dégrafa les sangles de son arme toujours attaché dans son dos et fit pivoter cette dernière devant lui. Contemplant un instant son reflet dans la lame, il déposa celle-ci près de lui, plantant l'une des extrémité dans la terre qui n'opposa aucune résistance. Aussi grande que lui, ou peu s'en fallait, son hachoir comme il l'appelait était une véritable promesse de mort pour ceux qui osaient le défier. Mais Loki ne put rester plus longtemps dans ses songes. Le frottement du tissu dans son dos était le signe que quelqu'un venait d’entrer. Son invité, capuche masquant toujours son visage, semblait observer le capitaine. Loki n'eut plus aucun doute de l'identité de cet homme. Un coup de tonnerre au dehors secoua légèrement la tente. Désignant d'un geste du bras un siège à proximité de l'homme, Loki prit enfin la parole.

- Pas besoin de ta capuche ici, Rauresu. Je sais bien que ce n'est qu'une tente mais elle a au moins le mérite de préserver nos têtes de la pluie. Alors, encore des conneries ?

Le colosse était réputé pour aller droit au but. Inutile de faire des détours lorsque l'on savait où aller. En quelques mots, il venait simplement de signifier à son interlocuteur qu'il connaissait très certainement le résultat de la mission qu'il lui avait confié. Les traces des Reiven existaient mais la plupart des hommes de l'Empire ne savaient pas les reconnaître. Dès que le doute s'installait, ils criaient alors qu'il s'agissait de Reiven. Heureusement, Loki avait trouvé une parade pour éviter de se déplacer pour rien. Le Raïken qui se trouvait devant lui s'était bâti une solide réputation. Un chasseur d'Artefact, en quelque sorte. Et depuis quelques temps maintenant, il employait ses services avant de se déplacer en personne. Si le Kriemhild lui disait qu'il s'agissait d'un canular, alors il le croyait et ça lui évitait un nouveau déplacement inutile. Outre les talents qu'il avait pour dénicher ce genre d'information, Loki admirait également le sang-froid de cet homme. Et il venait de le prouver une nouvelle fois en se rendant directement à sa tente, parcourant le camp qui n'était pas très engageant. Beaucoup aurait demandé une escorte pour arriver jusque là. La Garde impressionnait. Pas toujours en bien. Mais elle impressionnait quand même.