Encore un indice sans intérêt. Et cette fois, ils avaient été obligé de se déplacer à plusieurs pour vérifier l'information. S'il n'y avait toujours pas de trace d'une possible résurrection des Reiven, il fallait quand même se montrer vigilent. Le monde était si fou qu'il n'était pas à exclure que ce peuple de barbares puisse avoir des fidèles parmi les autres peuples. Le maître de la garde sortit de la demeure accompagné de certains de ses hommes. Haut de taille, portant une gigantesque lame dans son dos, Loki était ce qu'on pouvait appeler une force de la nature. Comme si les dieux l'avaient amenés ici pour qu'il veille sur les intérêts de son peuple. Ce qu'il faisait en faisant parti de cette unité prestigieuse qu'était Cerberus. Ce n'était pas qu'un hasard s'il portait lui-même le nom d'une des divinités de Midgard.

Jetant un œil sur la foule qui s'était amassé - faut dire qu'ils ne devaient pas avoir grand chose d'autre à regarder - le colosse commençait déjà à donner ses ordres. S'il y avait bien une chose qu'il détestait, c'était d'être ainsi baladé de la sorte. Il le savait pourtant que cette piste était bidon mais les ordres étant les ordres, il s'y était rendu. Et son rapport risquait de ne pas être très courtois. Attrapant un petit étui dans sa poche, il en sortit un cure-dent qu'il plaça par habitude entre ses lèvres. Quitter cette place, voilà la seule chose à laquelle il aspirait. Encore que...

La pression qu'il sentit sur son poignet et le crissement de plusieurs lames que l'on sortait de leurs fourreaux fit réagir prestement Loki. Alors qu'il se tournait vers l'homme en question, il eut le réflexe de déplacer sa main libre dans son dos, sur l'une des poignées de sa lame. Mais les propos de l'inconnu stoppèrent son geste. S'il était devenu habituel de parler le dialecte de Solaris, un dialecte connu de tous, certains peuples n'en oubliaient pas pour autant leur langue natale. Les Valkors, farouches défenseurs de leurs traditions, portaient à cœur d'apprendre aux enfants leur langue d'origine. Depuis combien d'années n'avait-il pas entendu cette langue ? Mais il devait réagir car déjà les garde de Cerberus se précipitaient sur eux.

- Arme au fourreau, soldat ! Immédiatement !

La voix puissante de Loki stoppa net l'avancée des soldats qui eurent tout de même une seconde d'hésitation. Les ordres n'étaient pas ignorés dans leur corps de métier et ils obéirent. En sa qualité de capitaine, il se devait de maintenir son autorité. Son regard se posa de nouveau sur le visage. Blond, yeux bleu. Un visage typique du nord de leur pays. Et pourtant, les traits ne lui étaient pas inconnus. Quelques secondes lui furent néanmoins utiles pour remettre en tête le nom de l'inconnu, qui ne l'était finalement pas tant que ça.

* - Bordel de merde !!! Björn ? Un peu plus et tu te retrouvais embroché mon vieux... *

Oui, il le remettait maintenant. Loki ne pouvait pas vraiment dire qu'il avait une palanquée d'amis mais l'homme devant lui s'en rapprochait. Il s'était connu il y a quelques années maintenant et ne s'était plus revu depuis un moment. Un large sourire barrait désormais le visage de Loki qui, d'une claque sur l'épaule qui se voulait amicale, lui signifiait son plaisir de le revoir. Il devait peut-être canaliser un peu sa force néanmoins. Constatant la curiosité de ses hommes, il reporta son attention sur ces derniers.

- Regagnez le campement et faites part de notre échec à la Commanderie.

Ils s'exécutèrent sans rechigner. L'idée de déplaire à Loki ne pouvait pas leur traverser l'esprit. Ils le connaissaient trop pour oser quoi que ce soit de cet ordre. Cerberus était ainsi... L'honneur et leur quête avant tout.

* - Eh bien. Qu’est-ce que tu fous ici ? Aphélion est vraiment une cité de merde. Vivement que je retourne à Ragnarok ! *

Cité souveraine de leur nation, il s'agissait d'une véritable forteresse. La moitié des navires militaires Valkors mouillaient près de la ville, en faisant l'un des plus grand port de Solaris. Mais l'heure n'était pas totalement à la nostalgie. Et s'il avait décidé de s'exprimer dans sa langue natale, c'était aussi pour ne pas être compris des non Valkors. APhélion était une ville civilisée mais peu connaissait le secret de cette langue.

Citation :

* = en langue Valkor dans le texte.

Le temps, il se l'aménageait. Et si cela déplaisait à sa hiérarchie, alors il en supporterait les conséquences. Loki était fidèle au poste et sa dévotion pour son travail était sans borne. De ce fait, on ne pourrait lui reprocher de ne pas s'être présenté à l'avant-poste de Cerberus en même temps que son unité. Haussant les épaules, il suivit son ami d'enfance, préférant ne pas penser à ses obligations du moment pour ne se projeter que vers l'image qu'il avait : de la viande, un peu d'alcool et une discussion de feu de dieu. Voilà un programme qui lui plaisait autrement que de se poser le cul dans le bureau de son chef pour lui expliquer qu'une fois encore, ils n'avaient rien trouvés.

* - Va ! Je te suis... *

Ce qui signifiait clairement qu'il mangerait avec lui. Le temps passait mais chez ce peuple fier, certaines choses restaient. L'adage disait "loin des yeux, loin du coeur". Mais les Valkor n'appréhendaient pas le temps et la distance de la même manière que les autres peuples de Solaris. Renforcer sa volonté, appréhender au mieux le futur pour sa famille. Chacun avait sa raison mais dans l'ensemble ils étaient tous du même avis : le destin à lui seul ne suffisait pas à dicter une vie. Et si les dieux avaient décidés de réunir le chemin de deux amis, ce n'était pas seulement pour leur permettre de parler de leur passé. L'un comme l'autre avait évolué, restait à savoir comment.

Björn semblait bien connaitre le coin. Il dénicha un petit restaurant dans les rues annexes. Moins peuplées, ces dernières permettaient aux gens de prendre un peu de recul avec la folle vie d'Aphélion. Fêtes, ventes en tout genre... Mais dans ce coin là, rien de tout cela. Avant de s'installer à sa table, Loki dégrafa les sangles qui maintenaient son arme dans son dos et cala cette dernière près de lui. Il lui était impossible d'être loin de ce sabre particulier. Ils allaient enfin pouvoir discuter tranquillement. Car même dans ce restaurant, il n'y avait pas foule et le patron des lieux semblaient s'ennuyer ferme. Prenant commande, les deux hommes restèrent silencieux jusqu'à ce que le restaurateur disparaisse aux cuisines. Là, reposant sur un coin de la table le cure-dent qu'il mastiquait depuis le début, il reprit :

* - Je n'ai pas vu beaucoup de représentants de notre peuple par ici, à part ceux qui font partie de ma garde. Peut-être un ou deux marchands mais rien de bien "indépendants", si tu vois ce que je veux dire. Mais toi ? Pourquoi Aphelion ? *

Ressurgissait là quelques souvenirs de leur passé commun. Enfants, ils s'évertuaient à jouer à la "guerre" contre les Reiven. Les gentils contre les méchants en quelque sorte. Et si cette guerre s'était terminé il y a longtemps de cela, les Anciens continuaient de perpétuer oralement la légende des grands héros qui étaient parvenus à sauver le monde qu'ils connaissaient. Mais dans ces légendes, il n'y avait pas que des héros. Ceux qui n'avaient pas aidés les Valkors étaient décriés comme des lâches et des faibles. Et bien que sans le support de l'empire, l'invasion n’aurait pas été éradiquée, beaucoup n'oubliait pas que la cité d'Aphélion avait tardé à envoyer des renforts, laissant alors mourir quantité de soldats Raïken et Valkors. Et Björn était, à l'époque, un des plus fervent défenseur des Valkors !

Rapidement, la nourriture vint. Le restaurateur semblait surprit d'entendre un dialecte qu'il ne maîtrisait pas mais ne le montra pas outre mesure. Peut-être que l'épaulette à tête de loup l'obligeait à tenir sa langue. Ou tout simplement la peur, devant deux Valkors, de paraître trop curieux.

* - Je ne resterais pas plus que nécessaire ici. Dans les jours prochains, je compte retourner à Midgard. Pour reprendre la route quelques jours après. Au fait, si tu préfère revenir à la langue de Solaris, dis le moi. *

Loki écoutait son ami tout en avalant la bouffe qui venait d'être servi. Et il avait un sacré coup de fourchette à le voir ainsi. La petite allusion à la mort de son père eût l'effet d'un rappel pour le colosse. Et il savait que ce départ ne s'était pas fait sans mal pour le jeune garçon de l’époque. Devoir quitter les terres familiales et les traditions d'un peuple comme les Valkors constituait un tribut bien trop lourd à payer pour quelqu'un qui venait de perdre la figure paternel. Une figure qui faisait office d'exemple pour nombre de jeunes. Björn avouait sans trop de mal qu'il tuait pour survivre. Un assassin payé par ceux qui le pouvaient. Pas étonnant qu'il porte une capuche lorsqu'ils s'étaient vus dans la rue. La discrétion devait être sa priorité et cela expliquait qu'il connaisse à ce point les rues d'Aphélion. Le colosse ne jugeait pas le métier. Il faut dire que dans son propre corps, il avait sous ses ordres d'anciens assassins et autres mercenaires en tout genre.

Et si la réputation des Cerbères, comme on les appelait dans les chaumières, n'était plus à faire, c'était surtout grâce à ces renégats. Bien que ce corps militaire ne soit pas exclusivement composé de ce type de soldats, il ne fallait pas se mentir : la plupart n'avait eu le choix qu'entre ça et la mort. Et bien qu'ils apprennent avec le temps à aimer leur nouveau statut, il ne fallait pas moins rester prudent avec certains. Et la question de Björn était logique. Du moins ce qu'il sous entendait. L'image du gamin qu'il était à l’époque d'intégrer cette unité lui revint en mémoire. Et indissociablement, celui de l'ami qu'il avait toujours considéré comme un frère. Haldor. Et comme un écho, le nom franchit les lèvres de l'Argenté.

* - Haldor. Le môme qui me collait toujours au basque. Petit de taille, plutôt vif, qui voulait toujours faire comme nous. Comme moi. *

Posant sa fourchette, Loki attrapa un pichet et servit les deux verres qui se trouvaient devant lui. A l'époque, Haldor ne lâchait pas d'une semelle celui qu'il considérait comme son grand frère. Il ne serait sans doute pas difficile pour Björn de se rappeler la silhouette de celui qu'il venait de nommer. Après en avoir bu une longue gorgée - autant dire presque la totalité du verre - il poursuivit comme s'il ne s'était pas arrêté. Détaillant par brides de phrases ce qui l'avait poussait à intégrer Cerberus.

* - Un accident. Mais ça a fait basculer sa vie. Et la mienne. Tu connais la politique Valkor quand le sang d'un frère est versé. Le Thane ne lui a laissé que deux choix : mourir ou rejoindre la garde Cerberus. Vu son âge, ça revenait au même. Je le savais. J'ai donc demandé à l'accompagner, pour pas qu'il soit seul. Tu te rends compte... Il avait toujours peur du noir et il allait intégrer les rangs des pires criminels. Violeurs, voleurs. Il n'avait aucune chance. Pas sans moi. *

La vérité, c'est qu'il n'avait eu aucune chance tout court. Même avec lui. Trop fragile. La mort l'avait emporté la première année de service. Rendant Loki plus froid mais aussi plus impliqué dans la protection de la Crinière. D'années en années, il s'était affirmé comme l'un des plus valeureux combattants qui soit. Au point qu'il avait obtenu l'insigne argenté, lui donnant l'occasion de commander une équipe. Un honneur qui n'était pas courant.

* - Et voilà. Le temps à fait son œuvre et je suis à ce poste aujourd'hui. Un choix que je ne regrette pas. Au moins, l'empereur n'a aucune prise sur nous. Nous sommes en dehors de toute juridiction. Enfin... Tant qu'on abuse pas non plus hein ! Mais fais gaffe, Björn. Si les Juges te mettent le grappin dessus, tu n'auras peut-être pas le choix d'Haldor. Bien que t'avoir à mes côtés serait un plaisir... Tu aurais ton occasion de quitter cette cage. Et de revoir Midgard. *

Un dernier coup de fourchette et il s'adossa à son siège, observant l'homme face à lui. Un assassin. Il ne dénigrait pas ce métier, en sa qualité de Cerbère, il ne le pouvait. Aucune interaction avec la justice. Seule la Crinière et les Reiven. Le reste devenait secondaire. Pour la plupart, le reste disparaissait.

C'était plus qu'une éventualité... Loki ne parlait jamais pour ne rien dire et lorsqu'il s'exprimait, il faisait toujours état de sa pensée. La garde Cerberus avait toujours besoin de compagnons, de frères pour sécuriser Solaris. Pour beaucoup, la garde ne représentait qu'un cauchemar. Qui pouvait donc croire que ces Reiven reviendraient ? Un songe... Mais pour d'autres, les plus perspicaces, la garde constituait l'unique rempart. Un rempart qui se devait d'être fidèle au poste et toujours prêt à intervenir si le danger ressurgissait. Ainsi, prendre la décision de revêtir l'habit à tête de loup n'était pas à prendre à la légère, même si les pires criminelles préféraient ça à la mort.

Un instant songeur, Loki étudia un instant les traits de son ami. Si de très longues années les avaient séparés, ils n'en restaient pas moins liés par le sang. Pas dans le sens d'une famille à strictement parlé mais les liens entre les Valkors surclassaient parfois cette barrière. Un type comme lui, et il le savait, serait d'une utilité remarquable à l'avenir. Encore fallait-il qu'il ne prenne pas cette décision à la légère. Quitter les ennuis de la justice et se cacher dans la Garde, c'était inacceptable.

* - Si tu t'en sens capables seulement. Les Cerbères ne constituent pas qu'une échappatoire. Il s'agit d'une mission plus importante que nulle autre. Et mon rôle est de veiller à ce que personne ne tire au flanc. Je suis sur que tu seras capable de grandes choses. Tu as de l'expérience et tu es un Valkor. Deux qualités que je recherche. Mais tu n'auras pas plus le droit de faire ce dont tu as envie, mon ami. L'honneur... Ce seul mot caractérise notre peuple et la mentalité de mes cerbères.*

Loki avait une volonté à toute épreuve. Selon lui - et cela avait tendance à énerver certains de ses camarades - le destin n'avait que peu d'emprise sur la vie d'un homme. Il suffisait que cet homme soit suffisamment fort pour que le destin se plie à ses volontés. Et cela faisait des années que le colosse s'évertuait à faire plier le destin. Aujourd'hui encore, un véritable bras de fer s'engageait. Le simple recrutement d'un volontaire était un pied de nez terrible à l'Empire. Les pires meurtriers l'intégraient presque par obligation. Mais voilà qu'un assassin Valkor était en passe de choisir de suivre cette voie là sans avoir été jugé. Rare. Et exceptionnel en même temps.

Farfouillant dans ses poches, l'argenté sortit un petit écusson qu'il plaqua sur la table, à proximité de Björn. La tête de loup noir était le symbole de la garde. Un symbole de puissance, de courage et le rappel qu'ils étaient des loups parmi les hommes. Le symbole également de l'unité et du lien qui existait entre eux. Les loups vivaient en meute. Un Alpha. Mais une famille. Soudé.

* - Je te laisse le choix. Fuis et cache toi comme un chiot apeuré en attendant que l'empire te mette la main dessus. Ou rejoins ma meute. Je peux te laisser du temps pour réfléchir... Jusqu'à ce soir. Mais attention Björn... La Crinière n'acceptent pas les déserteurs. Et j'en ai assez d'être entouré de la risée de Solaris. Un homme de confiance à mes côtés. Voilà ce dont j'ai besoin. *

En d'autres termes : trahis la cause et tu seras exécuté sans autre forme de procès. Si les Juges avaient l'impression d'avoir du contrôle sur les hommes de la Crinière, ils se trompaient lourdement.