Une journée comme un autre se dessinait dans le quartier populaire d’Aphelion. Une foule assez dense vaquait à ses occupations, chacun allait là où il le devait. Certains groupes se formaient au hasard d’une rue et discutaient chaleureusement. Quelques petites disputes éclataient de ci, de là entre des badauds venant de se percuter ou entre des marchands tentant de rogner quelques centimètres d’étalages sur leurs concurrents. Dans cette fourmilière qu’était Aphelion personne ne pouvait distinguer aisément un individu en particulier. De ce fait Rydd Steiner marchait tranquillement dans une rue du quartier populaire. Ses lunettes de soleil trônant fièrement sur le bout de son nez. Son habituel air supérieur se dégageant de toute sa personne.

Aujourd’hui, comme tous les jours, il avait fort à faire. Discuter des dernières rumeurs avec les piliers de la ville. Obtenir des informations à moindre cout auprès d’informateurs proches. Et chercher de nouveaux contacts. Car oui la vie d’un homme qui veut se faire connaitre ne peut passer que par la continuelle recherche de contacts. Mais rencontrer des personnes de valeur n’était pas chose aisée. Il n’y avait pas de tableau d’annonce ou de bars spécialisés regroupant le meilleur de Solaris. S’eut été une bonne chose pour des hommes tel que Steiner mais ce n’était pas le cas.

De ce fait il fallait errer et chercher, au hasard d’une rue, dans une auberge, chez un particulier, la perle rare ; celle qui pourrait avoir une réelle utilité dans ce monde sournois et implacable qu’est Solaris. Alors que Rydd continuait sa route il fut interrompu par un petit gloussement. Se retournant il constata la présence d’un de ces informateurs. Un jeune homme blond d’une rare beauté qui tranchait parfaitement avec le côté voyou de Steiner. Pourtant le jeune homme lui adressa un sourire mielleux. Il prit la parole doucement.

-«Bonjour Rydd ! Belle journée n’est ce pas ? Comment vous les affaires ?»

Le jeune homme marqua une légère pause et regarda avec curiosité son interlocuteur. Celui-ci répondit rapidement sur un ton tout aussi léger.

-«Ma foi fort bien ! J’étais en train de réfléchir à l’endroit où j’allais me rendre pour me distraire aujourd’hui. Mais il y a tant d’endroits !»

Le blondinet s’esclaffa un moment et un regard malicieux apparu alors sur son visage, sa physionomie avait parfaitement changée et il apparaissait maintenant bien plus implacable qu’auparavant. Néanmoins il répondit sans que sa voix ne change d’un iota.

-«Essaie donc le café du masque. Si je puis même te conseiller de prendre un café et un verre d’eau… Sur ce je te laisse, bonne journée !»

Et sans attendre l’homme reprit sa route sans se retourner. Rydd prit la direction du café sans attendre et s’installa au bar. Il commanda un tort boyau maison qui semblait effectivement être de confection artisanal. L’attente commença alors. L’homme blond était un chasseur de tête, contre quelques iris il confiait aux privilégiés des pistes viables. Lorsque l’on parle de pistes viables c’est évidemment d’homme de valeur que nous parlons. Mais seul les meilleurs chasseurs de têtes peuvent être certains de la valeur d’un homme rien qu’en le regardant. Rydd attendait donc de pied ferme l’homme, la femme ou la bête qui devait se présenter au café.

Après une bonne heure d’attente un homme fit son entrée, rien de particulier au premier abord si ce n’est qu’il commanda un café et un verre d’eau. Le chasseur de tête était un homme tout aussi malin que son client. Rydd se retourna donc vers l’homme en question et tout en levant son verre prit la parole.

-«Serveur offrez donc à ce monsieur son verre d’eau et son café, c’est moi qui régale. Vous êtes un habitué des lieux ? Croyez-le ou non on m’a parlé de vous. En des termes bien vagues il faut l’avouer mais suffisamment clair pour que j’aie la capacité de vous reconnaitre. Comme je suis persuadé que vous n’allez pas terminer vos consommations avant moi, narrez-moi donc un peu votre vie. Je suis très friand d’histoires...»

Et lunettes noires s’installa auprès de l’inconnu.

L’interlocuteur de Rydd en venait déjà aux interrogations. Au final l’embaucheur se faisait questionner et l’embauché était l’investigateur. Curieuse méthode que d’inverser les rôles mais ce n’était pas bien grave. Ce qui était plus grave, et qui commençait à fortement agacer Rydd, c’était cette incroyable facilité qu’avaient les gens pour le classer dans la catégorie des hommes des bas-fonds. A croire qu’il n’y avait qu’une seule et unique catégorie de personnes promenant sur leurs fronts une inscription particulière. Mais ce n’était pas bien grave, notre homme ne cherchait pas l’anonymat. Tout du moins pas pour l’instant. Il n’était pas recherché au sein d’Aphelion et n’était pas considéré comme une menace pour l’ordre établi.

C’est donc avec facilité qu’il allait se dévoiler. Mais avant il profita de son verre. Le liquide ambré le ravissait à un tel point qu’il ne pouvait détacher son regard de celui-ci. Après quelques minutes de silence, son regard se posa à nouveau sur l’inconnu du café du masque.

-«Oui en effet je viens des bas-fonds. Je louerai bien votre perspicacité mais malheureusement il ne faut pas être bien malin pour en arriver à une telle conclusion. En vérité, je ne suis pas un homme très discret. Mais j’ai mes propres astuces pour ne pas être inquiété. Pour ce qui est de mon nom, et bien, l’on m’en octroi plusieurs au gré des envies. Rydd Steiner, lunette noire, le péril des bas-fonds, et bien d’autres pseudonymes de mauvais gout.»

L’orateur afficha un sourire en terminant sa phrase. Bien qu’il disait avoir une certaine répugnance pour ces surnoms son visage disait tout l’inverse. Et c’était là toute la complexité du personnage. Pour Rydd rien n’était plus important que la réputation.

-«Maintenant que je me suis présenté, revenons-en à vous. Je vous parlerai bien de moi plus en détail mais je manque de temps et d’envie. Rassurez vous il y a bon nombre d’informateurs qui disposent de renseignements sur moi. Je ne suis pas très secret. Enfin, je laisse filtrer tout ce qui n’est pas important. Bref ! D’après mes sources vous êtes une personne susceptible de m’être utile. Vous devez donc être doté de certaines capacités pour avoir éveillé l’intérêt de certains de mes compatriotes.»

Une nouvelle fois le discours s’interrompit, quelques secondes passèrent. Le vouvoiement disparu alors du discours, et le ton était plus viril, l’œil de Rydd plus implacable.

-«Comme tu le sais, ou comme tu l’apprendra bien un jour, je ne suis pas de ceux qui ont besoin d’aide pour effectuer des tâches. Je préfère le faire moi-même, avec une certaine efficacité si j’ose dire. Mais parfois ma réputation est un handicap, parfois je ne souhaite pas que l’on fasse le rapprochement entre moi et certaines affaires. Alors explique moi quel type d’homme tu es, tes activités, tes antécédents. Je n’embauche pas à l’aveuglette.»

Le mercenaire se dévoila quelque peu, il affirma aux sous entendus de Rydd. C’était effectivement un homme qui se faisait payer pour ses services de tueur. Une chose courante dans Aphelion, voir probablement dans tout Solaris. Le monde était constitué de ces chasseurs de primes qui réglaient les conflits par la loi du plus fort. Et parfois cette loi du plus fort n’existait plus que grâce à un habile parallèle. Compte tenu du nombre de chasseurs de primes, la véritable force n’était plus celle des armes mais celle de l’argent. Celui qui disposait d’iris illimités disposait d’une force de phrase tout aussi infinie. Et par conséquent le plus fort n’était plus le plus intelligent, le plus fort physiquement, ni le plus habile au maniement des armes, NON ! Le plus fort était maintenant le plus riche. Mais quelques histoires compteraient indéniablement la limite de tout ceci.

Le plus riche n’est pas toujours le plus fort et fini par être tué même derrière sa fortune. Et le cercle perdure entre riches et forts. La boucle est bouclée et le cercle préservé. Rydd espérait naïvement qu’il pouvait être le plus fort physiquement tout en étant le plus fort économiquement. Une espérance digne du plus grand dément ou du plus grand génie, deux caractères paradoxaux mais proches. Ainsi lunette noire ne pouvait toujours effectuer ses tâches par lui-même ou parfois devait il user d’alliés pour parvenir à ces fins. Il ne pouvait décemment combattre Aphélion seul. Il avait donc besoin d’alliés aussi divers que possibles. Les chasseurs de primes faisaient donc parti de ses projets. Mais un homme payé pour tuer est un homme avide d’argent. L’homme qui ne voue une allégeance qu’a l’argent peut aisément être retourné. La cupidité est probablement un défaut très répandu dans cette profession.

Aussi « le couteau » ne pouvait se lancer à corps perdu dans une association de principe. Il devait éprouver la solidité de l’homme mais surtout sa fiabilité. Comme la principale faiblesse d’un tueur à gage ne peut être que sa cupidité. Il fallait éprouver ce talon d’achille rapidement. Cette investigation était déterminante pour la suite de ses plans. En effet toute personne pouvait faire partie de ses plans, mais tous ses plans excluaient systématiquement les gens peu fiables.

-«Je ne sais pas si tu me connais, si tu as déjà entendu parler de moi, particulièrement de mes capacités. Ce que je cherche ce n’est pas une personne qui doit faire le travail que je ne me complais pas à réaliser. Je ne recherche pas non plus une personne qui peut atteindre des buts que je ne peux atteindre moi-même. Si c’était le cas, ça voudrait dire que la dite personne est plus forte que moi, c’est donc une gêne… Non ce que je désire c’est une personne qui peut exécuter des travaux que je préférerai ne pas réaliser. Pas par peur, par méfiance ou par paresse. Non par simple soucis d’efficacité. Là où je ne suis pas, je ne peux agir. Or c’est une faiblesse. J’adorerai disposé du don d’ubiquité mais je ne l’ai pas. J’ai donc besoin, potentiellement, de bras supplémentaires. Mais… Mes bras se retournent rarement contre moi. Et toi ? Tes clients peuvent-ils devenir tes cibles. Jusqu’à quel point un homme tel que toi est il fidèle ? Quand je dis fidèle c’est assez péjoratif je l’admets, le chien est fidèle pas nous. Je dirai plutôt, comment juge tu ton intégrité dans ton travail ? »

Rydd porta à nouveau son verre à sa bouche et bu avec délectation. Son regard, dissimulé derrière ses verres teintés, ne quittait pas son interlocuteur. Quel était donc sont type ? Quel était donc le caractère de cet homme au métier si particulier ?