A peine était-il sorti d'un rendez-vous que déjà un nouveau message lui était parvenu. L'animal se posa sur l'épaule du maître des voleurs, déposant alors son précieux sésame. Les gosses de la rues étaient habitués à utiliser les animaux pour se parler les uns les autres et ils avaient apprivoisés nombre de petits bestioles en ce sens. Alastor n'avait que reprit leur idée de base pour se l'approprier. Alors qu'il prenait acte du message crypté - un cryptage basique mais suffisant pour éviter tout regard indiscret - il se mit à sourire... Le blondinet qu'il avait missionné pour suivre le Karnak donnait de ses nouvelles. Et sa cible s'était enfin posé.

L'adresse était connue du voleur et c'est avec un plaisir visible qu'il s'y rendit immédiatement. Il n'avait pas cessé d'aller à droite et à gauche en ce jour mais c'était les affaires et il était logique qu'il s'investisse autant. Il ne mit guère longtemps pour se rendre sur les lieux. L'enfant le remarqua le premier et sans même un regard, il quitta les lieux. Inutile qu'il reste maintenant qu'il était arrivé. Poussant les portes, Alastor repéra la place du Karnak avant de se rendre directement au bar pour prendre commande. Se poser et attendre que les serveurs viennent à lui ne l'intéressait pas. Autant prendre les devants. On lui servit ce qu'il demanda : un cognac Vedan exceptionnel. Cher mais le nectar qu'on venait de lui servir valait bien son prix. Attrapant le verre, il se posa non loin de sa cible alors que la musique battait son plein. L'odeur de fumée ne gênait pas particulièrement le Telarana même s'il n'en était pas pour autant friand. Il fallait faire des sacrifices pour parvenir à ses fins après tout.

Pour le moment, il observait l'ensemble de la pièce. Il ne fallait pas oublier que la fête attirait également certains des plus illustres chasseurs de prime et se faire bêtement attraper pour avoir voulu aller trop vite ne ressemblait pas à notre homme. Finalement, ce lieu semblait tout à fait propice à une prise de contact. Sommaire, évidemment. Mais prise de contact tout de même. La curiosité était un défaut pour bon nombre de peuple mais pas pour les Vedan. Et comme le Karnak n'avait plus sa mallette au poignet, il pouvait essayer d'en apprendre plus sans pour autant éveiller de soupçon. La musique prit fin un instant et une salve d'applaudissement s’éleva dans les airs. La plupart se levèrent pour saluer dignement le duo de guitaristes qui allait se rafraichir avant de reprendre leur art.

Le moment était donc venu. Se levant à son tour, Alastor se rapprocha du jeune homme et, avec l'air d'un enfant qui venait de voir un spectacle magnifique, il s'adressa aux hommes autour du Karnak. Pas de prise de contact direct, permettant alors de ronger doucement les précautions des uns et des autres.

- Fantastique ces deux là. Je connaissais pas cet endroit, un ami m'en avait parlé et sérieusement, c'est exceptionnel. Vous savez s'ils vont reprendre ?

Partageant son enthousiasme, certaines des personnes lui répondirent qu'ils reprendraient rapidement. Une sorte d'entracte. Les remerciant, il se posa alors près du Karnak qui avait très certainement suivi l'ensemble de la discussion. Faisant mine de le reconnaître, Alastor brisa le court silence instauré afin de faire connaissance.

- Pardonnez moi mais vous êtes Karnak n'est-ce pas ? Je vous ai vu ce matin, entouré d'une véritable petite armée. Très impressionnant d'ailleurs. Ce n'est pas très courant de voir des gens de votre peuple par ici. La fête en l'honneur de l'Empereur a attiré du beau monde. Quoi qu'il en soit, à votre santé Monsieur !

Levant son verre, il en but quelques gorgées avant de reporter une attention distraite vers le groupe de guitaristes. Il avait ferré le poisson, restait à voir si la ligne prendrait ou se casserait.

Intelligent... Mais sacrément sûr de lui. Ce qui offrait d'emblée une porte d'accès à Alastor qui allait s'y engouffrer sans demander son reste. Répondant tout d'abord par un petit sourire, il jeta un petit coup d’œil dans l'ensemble de la pièce. Amusé de constater qu'il n'y avait aucun Karnak, peuple aisément identifiable, il allait pouvoir rebondir sur les questions du jeune homme. Non sans noter dans un coin de sa tête le nom du groupe qui l’avait accompagné dans les rues d'Aphelion. Les Légions de Shiva. Une prestigieuse unité qui n'avait pas pour habitude de protéger le premier venu, ça il en était persuadé. Ce qui lui permettait aussi et surtout de s'assurer qu'il ne s'était pas trompé de client.

- Je viens de vous le dire mais sans doute que la musique a emportée mes mots. Un groupe aussi important de Karnak dans les rues de notre ville, ça ne passe pas inaperçu. Et ne le prenez pas mal, Monsieur, mais votre gabarit était loin d'impressionner autant que ceux qui avaient, visiblement, la charge de vous protéger vous et vos petits camarades.

Être borgne ne signifiait pas être aveugle et il espérait alors que le jeune homme cesse de le prendre pour un idiot. Si ses propos ne paraissaient pas du tout déplacés, il restait sur la défensive et ce comportement, une fois encore, n'était pas habituel pour quelqu'un qui n'avait rien à cacher. Encore qu'il restait une inconnue : son secret valait-il le coup d'être percé ? Ou n'était-ce que chimère ?

- Par ailleurs, ma profession me pousse à avoir une excellente mémoire. Repérer les clients potentiels n'est pas à la portée de tous et je me flatte d'être excellent dans ce domaine. Un marchand qui ne sait pas se servir de ses yeux - ou de son œil dans mon cas - n'est pas digne d'exercer au sein d'Aphelion. Et confidence pour confidence, sachez que dans cette ville, il n'y a pas une personne qui tente de nouer des contacts avec les autres sans avoir à cœur un intérêt personnel. Quant à la chanteuse, bah ! Je ne me soucie pas d'elle car je trouve que les musiciens ont mille fois plus de talents ! Détendez vous, messire, cette soirée mérite mieux que les suspicions, n'est-ce pas ?

Petit sourire en biais qui permettait peut-être de lui faire comprendre que se défier ainsi des autres était le meilleur moyen d'attirer l'attention. De toute façon, c'en était fini de lui : Alastor ne lâchait pas facilement ses proies et il maniait aussi bien les mots que les armes. Ce n'était pas pour rien qu'il était le Maître des voleurs après tout. Avalant au passage quelques gorgées de ce simulacre de cognac, il reposa le verre tranquillement et laissa passer une poignée de secondes avant de reprendre, doucement, à l'attention du Karnak.

- Si je puis me permettre... Un homme qui possède une garde comme la Légion de Shiva n'est pas n'importe qui. Je suis curieux de savoir qui vous êtes réellement. Mais peut-être que vous avez raison finalement. Je pose sans doute trop de questions.

Et, reportant complétement son attention sur les musiciens, il ignora superbement le jeune homme. Si ce dernier daignait lui répondre, ce serait parfait. S'il préférait lui aussi l'ignorer, alors il trouverait une autre façon de trouver ses réponses. De toute façon, il avait plusieurs cordes à son arc. Pour son plus grand plaisir.