Hey, le sac à bière, tu viens de me marcher sur le pied.

C'est à moi qu'tu cause comme ça? Je vais t'écrabouiller ta gueule de morpion, minus!

S'ensuivit une mêlée qui me dévoila aux yeux de tous. On me l'a toujours dit, le meilleur moyen de devenir invisible au yeux des gens, c'est de s'agiter devant eux comme une mouche. Un cercle s'était formé, et nous regardait combattre. Du coin de l'oreille, j'entendais même des gens commencer à parier. J'avais bien fait de lancer cet abruti à la charge, je sentais que celui que je filais depuis un moment se doutait de quelque chose. Alors autant se rendre insignifiant. Tandis que la brute pleine de bière écumait devant moi, m'incitant à venir à sa rencontre à grands renforts de "allez viens, nabot, je vais te fourrer comme j'ai fourré ta mère!", je regardais la cible s'éloigner rapidement. Bon, y avait plus qu'à finir ça vite et...

ZBAF

Alors t'as eu ton compte, crétin? J'te pisse dessus, moi!

Ouais bon, je l'avais pas vu venir. Ou alors je l'avais fait exprès? Je garderais le secret pour moi. Me relevant, je retirais le sang maculant ma bouche, là où ma lèvre avait rencontré mes dents. L'autre outre à vin gesticulait, sûr de sa victoire. En même temps, bon sang, il avait la force d'un ours! Me fallait finir le combat rapidement, sinon j'allais perdre de vue l'autre. Esquivant les coups de patte que ce fils de Molok tentait de me donner, je finis par perdre patience. Hop, un coup sur le larynx, histoire de lui couper le souffle et faire monter l'adrénaline, suivi d'un coude allant s'enfoncer contre sa cage thoracique, touchant le foie. C'est marrant les brutes, plus elles sont charpentées, plus le foie est proportionnellement gros. Et lui, avec la quantité d'alcool qu'il avait dans le sang, en rajoutant le rythme cardiaque s'accélérant à cause de l'adrénaline, il ne lui fallut pas longtemps pour tomber, terrassé par la boisson. Triste fin. Il allait avoir la gueule de bois de sa vie. Bref, sitôt fini, sous les holas des parieurs et les huées des perdants, je me forçais un passage à travers la foule, récoltant tape sur l'épaule ou sur l'arrière de la tête, selon la chance du type que je croisais.

J'avais de la chance, car la tête du type que je filais venait juste d'apparaitre devant moi, tournant à l'angle d'une rue. Il s'en était fallu de peu pour que je le perde. Filant entre les passants, je remarquais que les liesses avaient regroupé le tout Syren, une étonnante mixitude de population compte tenu des tensions qui pouvaient régner entre les différents peuples. C'était ainsi, quand la bière coulait à flot, tout le monde se regroupait, et faisait semblant de se marrer un bon coup. D'autres profitaient du monde pour se regrouper, et comploter. C'était le cas du petit fouinard que je suivais. Le type ne payait pas de mine, il était parfait pour ne pas éveiller les soupçons. Si je n’avais pas eu autant connaissance du réseau qui s'était mis en place récemment, je serais probablement passé à côté sans tilter. Mais je l'avais dans le collimateur, et j’oublie rarement un visage. Notre petit jeu nous amena à faire des détours, passant par différentes rues, de la plus animée à la plus désertique, vide et glauque. Bien sûr, à ces moments là, je devais rivaliser d'ingéniosité pour me fondre dans le décor, et pour anticiper ses mouvements afin de ne pas louper ses trajectoires erratiques. J’eus même le plaisir de faire un court mais intense séjour dans un tas d'ordure, disputant la place à des rats gros comme...vous ne voulez pas savoir. Quand enfin le type décida de s'arrêter, je trouvais le lieu logique: une usine à savon. Enfin logique, logique, je savais qu'avec les produits nécessaire à la saponification, on pouvait en outre fabriquer des explosifs. Après, c'était aussi peut être parce que les mecs voulaient pas qu'on ait un œil sur leurs sales affaires. Mais là, ça n'engage que moi. Y a aussi des légendes sur le fait que les mages traqueurs ne supportent pas certaines substances chimiques. Certaines sont vraies, d'autres non.

Restait à trouver l'angle d'attaque. Où du moins le moyen de m'approcher suffisamment. J'avais au moins distingué deux types sur les toits qui surveillaient les rues adjacentes, et on était pas à l'abri d'alarmes magiques, et franchement, je détestais vraiment ça. Quand les mages venaient foutre leur nez dans les affaires louches, ça finissait toujours en explosions de partout. Pas que ça me dérange vraiment, mais je préférais quand j'en étais l'instigateur. Et puis ils trouvaient toujours un moyen de surpasser les autres par le biais d'un sort. Ça ne les rendait que plus chiants à descendre. Quoique, tout compte fait, en avoir un a mes côtés m'aurait valu un gain de temps précieux. Parce que les défenses magiques, elles allaient pas se découvrir toutes seuls. Où est ce que j'avais foutu ma poudre d'orichalque déjà? Ah oui, la poche interne gauche, troisième rang...

Aucun repos pour la Magister qui patrouillait dans les rues que ce soit en hauteur ou sur terre. Ses yeux alertes sondaient les environs à la recherche de la moindre infraction à la Loi qui justifierait une action immédiate et chirurgicale. Ce genre de manifestation festive aboutissait souvent à des délits innommables et elle était là pour veiller à ce que ceci ne se produise pas ou que le crime soit immédiatement puni. Kathlyn évoluait seule au milieu de cette effervescence constante et pour se fondre dans la masse, la jeune femme avait choisi sciemment de ne pas vêtir son armure officielle pour ne garder que sa tenue habituelle à savoir sa robe, ses deux stylets et son Mana. Alors qu'elle pénétrait dans une rue, des cris surgirent au bout de celle-ci, des cris de liesse qu'elle évita soigneusement, un simple jeu qui aurait tôt fait d'agresser ses tympans. Damon avait bien tenté de la forcer à passer une journée loin de son rôle de Juge pour autant… que lui restait-il à part cela ? Toute sa vie a été dévouée à cette chasse perpétuelle de meurtriers ou pire encore et rien ne la détournerait de son but, pas même la personne la plus proche d'elle actuellement. Laisse le boulot aux gardes, repose-toi un peu… même certains de ses supérieurs avaient rejoint l'idée de Damon, sans grand succès. En ce jour la Loi ne disparaissait pas et elle comptait bien s'en assurer.

Deux heures déjà qu'elle errait dans Aphelion et aucun problème qui nécessitait l'intervention exclusive d'une Juge. Deux larcins rapidement contrecarrés par les gardes, une bagarre stoppée avant qu'elle ne les écarte de force… tout ceci se révélait plutôt calme dans cette zone. Puis une sensation étrange l'investit soudainement tandis que les rumeurs d'une attaque contre l'empereur remontaient dans son esprit. Aucune preuve fondée néanmoins à ce moment même Kathlyn sentit une vibration perturbante qui ne devrait normalement pas exister. L'utilisation de la magie dans les rues était soumise à des règles assez laxistes mais qui bannissaient certains sorts et ce qu'elle percevait entrait dans ces derniers. Elle s'apprêtait à traquer cette sensation lorsqu'une main se posa sur son épaule, une acre odeur d'alcool remplissant rapidement l'air. D'un geste réflexe elle se dégagea de la mince emprise puis fit face à trois hommes imbibés d'alcool. Leurs yeux ne semblaient pas si voilés, au contraire même, ceux-ci semblaient un tant soit peu conscient de leurs actes. Elle connaissait le regard et les gestes des jeunes hommes sous l'emprise totale de l'alcool, ceux là semblaient s'en tirer pas si mal… peut-être un problème pour elle. Désinhibés mais encore maître de leur corps, voilà la pire des configurations. D'ailleurs l'un s'avança vers elle les mains tendues vers sa poitrine.

» Eh ma belle, viens par là, on va bien s'occuper de toi !
» Oh oui, on sait s'y prendre. surenchérit un deuxième en s'approchant lui aussi.
» Très peu pour moi. Vous feriez mieux d'aller voir ailleurs. rétorqua-t-elle, sans animosité.
» C'est ta…

Sa phrase n'eut jamais l'occasion d'être finie. D'un geste ample et rapide, une pression d'air naquit dans le creux de chaque ventre avant que celui-ci n'expulsât chaque jeune homme en arrière, les faisant tomber sur leur arrière train. L'expression de sa magie, aussi faible fut-elle fit néanmoins claquer ses vêtements ainsi que sa chaîne, révélait à la lumière sa bague de Juge.

» C'est… c'est… et merde !

Leur sang ne fit qu'un tour. La réalité brisant leur manque d'acuité, ils se levèrent du mieux qu'ils purent et déguerpirent de manière totalement maladroite, se rentrant dedans et laissant leurs bras ballotant cogner les murs. Réajustant sa tenue et passant sa dextre gantée sur son épaule comme pour essuyer la crasse que cet homme avait pu laisser, elle continua sa route. Ils étaient dégoutants… durant sa quatorzième et quinzième année, comment avait-elle pu… Inutile de replonger dans ces souvenirs infâmes et révolus. Ramenant son esprit sur des problèmes plus pertinents, elle se concentra et commença à capter et filer le mana résiduel qui trainait dans l'air. Pourquoi quelqu'un avait-il usé de l'abjuration en ce lieu à part cacher une chose non souhaitée ?
Pas après pas, elle fit disparaitre les chaînes qui purent entraver son chemin en toute discrétion avant d'arriver sur une grande usine où les protections semblaient multiples, autant physiques que magiques. Tout ceci ne disait rien qui vaille. Respirant un bon coup, elle médita un instant, tentant de sonder les lieux en faisant souffler un vent léger en espérant qu'aucun magicien suffisamment doué ne fut sur les lieux sans quoi le silence ferait rapidement place au fracas du fer et des sorts.

Dans un bruissement subtil, son mana s'infiltrait dans le bâtiment pour détecter environ une quinzaine d'humains différemment répartis dans la surface. Plusieurs petits groupes existaient au sein de leur rassemblement dont un plus proéminent que les autres ; sûrement le cœur de tout cela. Peu de mouvement de la part des autres protagonistes ou en traduisant : des gardes guettaient, tout simplement. Rien n'était sûr mais elle possédait les moyens pour s'assurer qu'ils planifiaient un méfait allant contre les lois. Glissant sa bague de Juge hors de son collier signalant son rang de Mage, elle le passa à son annulaire droit par-dessus le tissu qui protégeait ses mains. Aussi subrepticement apparu, le vent de mana se dissipa et Kathlyn s'engagea dans l'allée comme si de rien était, laissant la possibilité au magicien du groupe de s'approcher. La même construction, la même sensation… inutile de réfléchir pour savoir que ce mana n'avait qu'un utilisateur qui ne tarda d'ailleurs pas à se montrer, perplexe face à l'intrusion d'une jeune femme dans son périmètre. Habillé d'une toge des plus écœurantes, il possédait deux yeux globuleux et un teint mât faisant écho à ses cheveux d'une couleur noisette. Comme si de rien était, la Magister avançait les bras croisés dans le dos jusqu'à ce que l'homme vint barrer sa route, la toisant du regard. Il se doutait de quelque chose mais pourquoi agir immédiatement sur une fille à peine mâture ? Cela devait être une coïncidence. Alors, arborant un sourire jauni il ouvrit la discussion.

» Tu ne devrais pas trainer par ici, petite. Les bâtiments ici sont assez âgés et risquent de s'effondrer à tout moment, en plus la fête est de l'autre côté.
» Ah. Je ne savais pas, désolée. se contenta-t-elle de dire en s'approchant un peu plus de vieux magicien.

Si ce dernier pouvait ne serait-ce qu'apercevoir une bribe de son talent, il ne serait pas resté planté là tel un idiot. Tel une proie facile. Séparant ses deux bras, elle plaqua à une vitesse ahurissante sa senestre sur la bouche du magicien afin de couper tout son venant de sa bouche tandis que sa dextre s'était atteler à recréer une autre impulsion d'air au niveau de son plexus solaire. Il ne tarda pas à tomber à genoux, dirigé par la magie de Kathlyn. Une fois au sol des liens de mana vinrent alors l'entraver, bloquant par la même occasion sa bouche. Même sonné, il sut ce qui allait lui arriver, tout du moins Kathlyn le pensait. Posant une main sur son crâne, elle fit appel à ses talents en mysticisme pour pénétrer son esprit et chercher des réponses. Ses faibles défenses ne suffirent à empêcher l'intrusion et après quelques secondes de concentration le flot d'information commença à filer dans son esprit jusqu'à ce que les réponses attendues fussent acquises. Un complot contre l'empereur… de quoi suffire à justifier ses actions. Rompant le lien elle frappa l'arrière du crâne du magicien de pacotille afin de le plonger dans l'inconscience, elle pourrait venir s'occuper de lui plus tardivement.

» Il ne doit pas me rester beaucoup de temps… l'armure sera pour une autre fois. lâcha-t-elle dans un soupir monotone.

D'un geste fluide elle tira ses deux stylets et s'approcha de l'entrée exempte de lumière. Des caisses se trouvaient entassées le long du petit chemin puis elle tomba rapidement sur un premier groupe d'adversaire qui ne tarda pas à crier. Tout juste à temps avant que sa gorge ne soit affublée d'une lame. Malgré sa rapidité d'action, Kathlyn n'avait pu empêcher l'alerte… le corps de l'homme s'avança de quelques pas, les bras tentant vainement de sortir son arme de son fourreau puis il s'effondra, les bronches remplies de sang. Il fut prit de quelques soubresaut tandis que de sa bouche sortait un sang mêlé avec de la salive et sa vie le quitta quelques instants plus tard. Son regard ne s'attarda aucunement sur son cas, en effet elle balayait déjà l'espace et remarqua deux groupes en bas et visiblement un petit étage où se trouvait le reste des hommes. Devant elle deux blonds qui brandissaient leurs épées et à sa droite un trio préparant déjà leurs armes à feu. Au fur et à mesure où le mana s'accumulait autour d'elle, ses cheveux se mirent à flotter dangereusement néanmoins non sans grâce. Les premières explosions naquirent et les balles filèrent à vive allure avant d'être stoppées par un mur invisible. Les billes demeurèrent suspendues un instant puis s'échouèrent au sol dans un bruit métallique.

» Rendez-vous et peut-être vous épargnerai-je. lança Kathlyn en tendant sa dextre en direction du trio.
» Salope de Juge, on préfère encore ravager ton p'tit minois !

Au moins elle leur avait laissé le choix. Pas tous les condamnés avaient cette possibilité. Alors qu'ils rechargeaient La Magister envoya une énorme impulsion de vent dans leur direction au point même où le plus frêle se souleva et alla s'écraser contre une poutre ancienne dont les nombreuses fissures se mirent à craqueler sous le choc. Visiblement au dessus ce n'était pas de tout repos aussi mais avant qu'elle n'eut le temps d'en attester, elle bondit en arrière et esquiva un coup dirigé vers son cou. Il en restait encore quatre sans compter ceux de l'étage… étage qui d'ailleurs se mit à s'ébranler, le pilier qui le retenait s'effritait petit à petit jusqu'à voir des morceaux de son corps se détacher pour choir à grand fracas sur le sol. Peu de temps après un petit nuage de poussière s'éleva, signe funeste que la colonne avait cédé…

Bien sûr que je ne pouvais espérer tenir en respect tous ces types sans qu'il y en ai un qui essaye de me la jouer à l'envers. Et quand bien même mon Darius XIII pouvait tirer à répétition - petit prodige sympathique que l'on obtient quand on est un gentil, très gentil garçon - ça ne suffisait pas à leur foutre à tous les pétoches.

Alors si j'ai tout compris, vous allez tenter quelque chose contre l'empire. Allez quoi, faites pas cette tête, on voit bien que vous faites pas dans le caritatif - et je dis pas ça parce que toi t'as une sale gueule.

Je cherchais à gagner du temps, histoire de repousser l'inévitable fusillade qui allait s'ensuivre. Pas que ça me dérangeait - dézinguer du malade c'est toujours mieux qu'égorger des poneys - mais j'aimais autant les pousser à se révéler, histoire d'avoir quelques infos.

Qui t'es toi, pour nous mettre en joue comme ça?

Ah oui très juste, voilà elle doit être là...deux seconde les gars.

Je sortais ma bague, symbole de ma fonction, et l'agitait de manière un peu loufoque sous le nez de mon public tout entier. En plus, ça m'obligeait à faire un tour sur moi même et ça, c'était super classe. Bon et puis, après tout ça, je me la passais au doigt, logique.

Vous avez conscience qu'on ne peut pas vous laisser partir maintenant, Juge?

Vous avez conscience que je vous laisserais pas partir non plus? Dites m'en plus, c'est le moment de faire votre discours de méchant, genre, donner des infos sur votre projet parce que je suis condamné, quoi.

Je ne pense pas.

Et donc comme je disais, commença le bordel. Bah quand on est face à une dizaine de types prêts à vous découper en rondelle, et quand ils se décident à attaquer simultanément, forcément qu'on se met en danger. Malheureusement pour le premier en face de moi, le coup parti, tandis que je me jetais en avant. La courte distance, couplée à la vélocité du projectile, suffit à le faire basculer de sa chaise pour se retrouver les quatre fers en l'air, un joli petit trou dans le milieu de la poitrine. Je retombais sur le plancher de la mezzanine, au terme d'un saut périlleux avant, et me retournait aussi vite que l'éclair, attrapant au passage un couteau de lancé. Les gars avaient sorti leurs lames, et deux d'entre eux avaient même un pistolet à silex. Le premier des deux reçu mon arme entre les deux yeux, ce qui le fit appuyer malencontreusement sur la détente, tirant sur l'un de ses alliés, tandis que l'autre déchargeait son arme sur ma si gentille personne. Y a pas a dire, s'inviter dans une réunion, c'est toujours risqué. Effectuant une roulade, j'évitais le projectile, puis rechargeait mon arme, d'un mouvement de la main, pour ensuite lui placer une balle en plein dans le cœur. C'est à ce moment là que tout le monde se décida à me foncer dessus, l'épée au clair, rendant tout tir au pigeon impossible. Repoussant le premier coup de taille de ma crosse, j'enfonçais celle-ci dans le nez de mon adversaire, le brisant pour le compte. Tandis que je parais un second coup, je pus distinguer que deux des types présents à la réunion tenaient à se faire la malle, descendant les escaliers. Je les entendis plus que je ne les vis, occupé que j'étais à ne pas finir embroché.

Merde, y en a un autre! Remonte, remonte!

Un autre quoi? Un autre juge? Toujours est il qu'en bas, ça flinguait comme à la chasse, y avait donc quelqu'un susceptible de m'épauler dans ma tâche - enfin si ladite personne n'était pas morte. Tandis que je jetais mon fusil à la figure d'un type, histoire de débloquer ma situation - les malandrins avaient eu la bonne idée de m'entourer pour faciliter mon exécution, alors que je m'étais mis dos à la rambarde de la mezzanine - je me saisissais de la longue dague pendant à mon baudrier, et sautait sur un autre. En bas, un énorme bruit de tempête - en gros, on sentait bien que c'était le bordel - me fit savoir que la bataille continuait. Tandis que je me saisissais de ma proie, la plaçant en bouclier contre mes ennemis, je pus sentir le sol trembler sous nos pieds, puis s'abaisser par à-coup, avant de s'effondrer bien comme il faut.

J'avais bien fait de prendre un otage. Le type avait facilité ma chute, et avait même eut l'extrême obligeance de se manger une blanche brisée à ma place. Regardant le bois saillir du dos de ce pauvre bougre, j'époussetais mes vêtements, cherchant la source de tant de puissance. Ce fut facile à savoir, tant la vision d'une jeune fille au milieu de ce bordel était frappante. Une jeune fille avec une bague bien particulière sur le doigt. Merde, une collègue! Essayant de progresser entre les gravas, je saisis un type encore en vie par l'arrière du col - le gars avait reçu un bon coup sur le coin de la tête - et le trainait vers l'entrée. Vers cette fille.

Par quelle confluence cosmique se peut il qu'au moment où ça file mauvais, un autre Juge apparaît pour...euh, comment définir ça le mieux possible...pour dératiser la place?

N'espérant pas vraiment de réponse, vu l'air austère que Miss Boucle d'Or affichait, je lâchais mon boulet au sol, qui s'étala dans un nuage de poussière de bois. Avant qu'il ne comprenne quoi que ce soit, j'avais déjà ma dague en travers de sa gorge.

Allez mon vieux, tu vas juste nous dire de quoi il en retourne. Ou promis je te laisse au bons soins de l'autre fille, là bas. Pour infos, c'est elle qui a tout fait sauter. Et dans le cas où elle est à court...

J'ouvrais un pan de ma veste, dévoilant des boules faites de céramique, certaines de métal, avec une mèche dépassant de toutes.

...enfin je te fais pas de dessin, hein?

Ça ne sert à rien, vous ne pouvez plus arrêter les événements qui sont en cours.

Il partit d'un petit rire satisfait, avant que je lui écrase la face avec mon poing, lui expliquant que son petit discours, bah c'était pas suffisant.

Que fêtons nous aujourd'hui? Et qui y a-t-il de plus déterminé qu'un homme prêt à mourir? Je pense que les Juges peuvent lire au travers des lignes, non? Vous savez bien que je cherche à gagner du temps, pendant que Devrish court vers son destin. Quel dommage que tu n’aies pris le temps de l'abattre, alors que tout le monde se jetait sur toi. Maintenant, il a pris cette porte qui est là-haut - et que vous ne pouvez plus atteindre puisqu'il n'y a plus d'étage - et il s'en va remplir sa mission.

Super, au programme: une course poursuite en délire, un kamikaze, et un chemin à se frayer parmi les badauds présents pour la fête. Le tout bien sûr en évitant que qui que ce soit ne finisse en gelée! Laissant le type à son air satisfait, je partais dans les débris, récupérant mon arme, dont le canon dépassait d'un tas de planche. Tandis que je prenais des balles, accrochées à mon baudrier et sur l'autre revers de ma veste, et que je les insérais dans la culasse, je m'adressais à la jeune femme.

Bon, moi je suis à sec, niveau idée. Si, bien sûr, je nous vois bien poursuivre ce fou et lui foutre une bastos dans le citron, lui retirant l'envie de se faire sauter. T'as pas un plan génial, la demoiselle?

Alors que la poussière s'élevait, la Magister en avait profité pour bondir en avant, récupérer son stylet planté dans la gorge du premier mort avant d'en éventer un deuxième. Mélangé au gravas, le liquide vital poissait le sol de son odeur ferreuse et d'une texture plutôt gluante dans lequel le corps de l'homme ne tarda pas à tomber. Ripostant à l'aveuglette, le dernier membre du trio de lames vit sa lame bloquée par le duo d'armes de Kathlyn. Il avait beau mettre toute sa force, la jeune femme ne fléchissait pas d'un pouce… Bien positionnée, cette dernière pouvait contrecarrer une grande charge et cet homme n'avait pas la puissance nécessaire pour passer outre cette garde féminine. Il avait bien fallu qu'elle trouve un moyen de se protéger de la lame de Damon et bien campée sur ses jambes, les bras fléchis, elle pouvait tenir bon le temps de réfléchir à un autre plan ou le temps que l'adversaire ne se rende compte qu'il n'avait aucune chance. Dans tous les cas, il semblait être du bord des abrutis. Tant pis pour lui. Elle fit alors quelque chose que très peu de gens pouvaient même parmi les magiciens, de son simple esprit elle plia le mana à sa volonté et fit former une minuscule tornade à la croisée des fers qui propulsa son arme en arrière. La suite aurait facilement découragé beaucoup de leurs compagnons, sa propre lame venait de tailler son crâne et un nouveau cadavre jonchait désormais le sol. Le visage inexpressif de Kathlyn ne daigna pas même regarder la dépouille, elle se concentrait déjà sur ses prochaines cibles.

Ce fut à ce moment là qu'elle remarqua la présence d'un autre homme dont le blason des Juges brillait à sa main. Ainsi les coups de feu trouvaient leur origine dans ses actions… Ce dernier s'approchait même d'elle sans réellement chercher à couvrir ses arrières. Peut-être pensait-il que Kathlyn allait le faire… et malheureusement elle dut se résoudre à admettre que pour un Juge, la situation était différente qu'avec un énergumène inconnu. Créant deux couloirs d'air, elle lança ses stylets à l'intérieur de ceux-ci et elle planta contre le mur deux nouvelles vies. Son collègue juge lui parlait tandis qu'elle l'ignorait, passant devant lui pour aller chercher ses deux armes avant de les nettoyer sur leurs corps encore chaud. Sans sa présence il aurait fini troué de deux balles. Enfin, elle n'espérait pas qu'il comprenne ceci, il était en vie, voilà ce qui important dans le fond. Ses armes ayant retrouvé leurs fourreaux, la magister se rapprocha du captif écoutant ses paroles avec attention. Il cherche à gagner du temps et ses belles paroles néanmoins il n'y arriverait pas vraiment face à Kathlyn. S'approchant de lui, elle posa sa main sur l'arrière de son crâne et s'introduisit dans sa tête comme pour l'autre magicien. Il ne se rendrait probablement compte de rien.

» Dis nous la vérité et tu auras une chance de vivre au sein de la Garde Cerberus. somma la juge.
» Ben alors, vous attendez quoi pour le poursuivre ? C'est votre boulot, non ?

SI elle pouvait pardonner le mensonge, se foutre littéralement de sa gueule ne méritait pas cette clémence. Indiquer une mauvaise direction juste pour donner du temps à son ami ralenti par la charge, voilà un geste louable mais futile. Dommage pour lui, la vérité tombait toujours entre les mains de la jeune Juge. Lui aussi avait eu sa chance, pourquoi la gaspiller ainsi ? Brisant le lien, elle attrapa sa tête à deux mains et effectua une torsion mortelle. Il y aura au moins eu une mort propre au milieu de ce carnage. Son regard saphir se déporta alors sur l'autre juge qu'elle toisa du retard pendant une seconde avant de parler.

» Il a pris un chemin plus long mais plus facile pour lui. Ne vous attendez pas à ce que je vous attende si vous trainez.

Paroles froides mais au moins, les choses étaient claires. Tournant les talons, elle se mit alors à courir dans la bonne direction, celle d'où elle venait, afin de rattraper le kamikaze accompagné de deux hommes de main. Ses bottines frappaient le sol afin de donner la cadence et son corps fin s'élançait à vive allure dans les ruelles, empruntant parfois des petits passages qu'elle avait pris soin d'explorer durant sa folle adolescence. Après quelques instants leurs silhouettes se dessinaient au loin, facilement reconnaissables, ils étaient les seuls à courir comme si des démons les pourchassaient. Et en soi, c'était bien sûr le cas. Toujours devant, le brun devait sûrement la suivre de près même si son absence ne la dérangerait pas outre mesure. Avertis de la présence de la magister, l'un des fugitifs se retourna et filer rouler sur le sol une centaine de petites billes que Kathlyn prit soin d'esquiver d'un bon gigantesque, aidé par un lit de vent sous ses pieds. Elle remercia ses heures d'entraînement avec Damon, qui avaient forgé son corps. La respiration maîtrisée, elle put modeler un lasso de terre qui vint faucher l'homme aux billes qui chuta et se cogna violemment la tête contre le sol de pierre. Elle avait raté l'autre accompagnateur et ne pouvait faire ceci pour le porteur de la bombe, qui savait si elle allait exploser lors d'un choc violent. S'ils faisaient face la situation aurait été aisée avec le mana de son côté, mais dans une course poursuite, la donne se voyait modifiée. Peut-être son collègue juge trouverait son utilité, sinon Kathlyn n'aurait plus qu'à utiliser la chance dans un endroit peu bondé.

Ce qu'on pouvait dire sans avoir besoin d'être un érudit Zéphyr, c'était que cette recrue n'était pas commode. Genre, pas du tout commode. Aussi sympathique qu'un Skedhar avec des hémorroïdes, la constipation en moins. Bref, après avoir gentiment fini de détruire tout sur son passage te de tuer tout le monde, elle vint enfin vers moi, sans m'adresser la parole une seule fois, et se focalisa sur notre gentil révolutionnaire. Posant une main de porcelaine sur celui-ci, elle s'arrêta un temps, avant de finalement interroger le prisonnier. Une creuseuse de tête? Fichtre, elle était jeune, très jeune même, mais elle avait plus d'un tour dans sa poche! C'était le genre de chose qui me filait un sacré coup de vieux, et me faisait me demander si je n'allais pas finir un jour sur la touche. Quoique, en y repensant, j'étais dans la fleur de l'âge, merde! Bref, n'ayant pas reçu de réponse convenable de la part du type, elle décida tout bonnement de lui tordre le coup. Simple et efficace. Un bémol cependant. Nous n'étions pas sensé être des exécuteurs, mais des hérauts de la Loi de l'Empire. Une telle attitude, dénuée de toute chaleur, m'arracha même un frisson. Mais elle était quoi, au juste? Un démon dans un corps d'enfants? Plus le temps passait - et pourtant cela ne faisait qu'un court instant - plus je me sentais mal à l'aise en sa présence. Tournant le regard vers moi, me regardant même comme si c'était un effort de poser les yeux sur moi, elle m'indiqua la conséquence de sa "discussion" avec le macabé. Une feinte des plus normale.

Bon et bien je suppose que...hey, attends! Elle s'est barrée. Elle s'est barrée! J'y crois pas, c'est quoi cette nouvelle génération de Juges?!?

Je partais à grandes foulées pour tenter de rattraper Blondie. Vache, cette petite avait de l'énergie à revendre! Est ce qu'elle bouffait autant qu'elle en dépensait? La facture devait être monstrueuse pour notre vénérable institution. Très vite, je compris que suivre cette fille ne mènerait à rien. Autant prendre les types en tenaille. Ah mais oui, j'avais oublié quelque chose de capital: elle seule connaissait le chemin que prenaient ces salauds. Et a réfléchir comme je le faisais, je perdais un temps précieux...il fallait agir! Rangeant mon arme dans le support prévu à cet effet, sorte de fourreau de dos attaché à mon baudrier, je décidais de profiter d'un empilement de caisse sur une charrette pour bondir contre le montant d'une fenêtre, terminant ma course contre le montant d'une évacuation d'eau, que j'escaladais rapidement. Renouer avec la grimpette des rues, lorsque l'adrénaline se déverse dans vos veines comme une fontaine de jouvence en puissance, c'est quand même le pied. Je prenais donc la voie des airs pour tenter de rattraper mon retard sur l'Inquisitrice en herbe, prenant rapidement de la vitesse sur les toits plats sans personne pour me ralentir. Bien sûr, se faufiler entre les cheminées était problématique. Bien sûr, sauter de toit en toi était risqué. Mais courir sur les toits pentés, rendus glissants par les fientes de ces foutus pigeons et la saleté en général - qui se risquerait à aller nettoyer là-haut? - ça, c'était vraiment insensé. Mais franchement grisant aussi. Ça me rappelait mes classes au sein de la flotte. J'avais jamais eu le vertige sur les cordages, c'est peut être d'ailleurs pour ça que j'étais un de leurs meilleurs atouts.

Par trois fois, je perdais de vue la jeune dinde, et par trois fois je la retrouvais, je ne sais par quel miracle. En même temps, fallait pas être un génie pour voir la direction générale que prenaient notre cible: au nombre de trois, les gars se dirigeaient vers la rue qui accueillerait le cortège impérial. Et Boucle d'Or leur filait au train, sans relâche. Même quand l'un d'eux utilisa un subterfuge vieux comme mes culottes, à savoir balancer des billes partout pour la faire chuter comme une grosse bouse, elle trouva le moyen de montrer à tous le monstrueux pouvoir qu'elle possédait. Ouais, j'étais impressionné. Les mages m'avaient toujours fait cet effet là: je ne devais ma réussite qu'à mes talents humains, et ma jugeote aussi, et j'avais toujours un peu jalousé ces types à qui la vie devenait facile grâce à l'utilisation de leurs sorts. Enfin, c'était l'image que je m'en faisais, je trouvais juste qu'un sort arrangeait bien les choses, quoi. Et puis, fallait dire qu'il y avait peu d'individus dans le monde capable de maitriser les arcanes de la magie, ce qui faisait un peu d'eux des êtres à part. Un peu comme les Zéphyrs à un concours de beauté. Bref, elle fit un joli bond aux proportions gigantesques, et s'évertua à faucher l'un des fuyards à l'aide d'un enchantement, celui là même qui avait tenté de lui mettre des bâtons dans les roues, justement. Le type s'écrasa le nez par terre, sa tête allant rebondir sur le pavé avec un bruit notable et force grognement. L'autre évita de justesse, son compagnon kamikaze toujours intouchable. D'un geste, je sortais mon fusil de son fourreau. Il allait pas tout réussir. Plaçant le type dans ma mire, j'inspirais un instant, puis relâchais mon souffle, calme, serein. Un de ces moments où vous vous sentez à votre place, où les choses s'emboitent parfaitement. Et boum, le coup partait. Le type aussi, sa jambe touchée ne pouvant supporter son poids. Le temps de replacer le fusil encore fumant dans l'étui, et je repartais, non sans avoir ramené mon poing vers moi en un signe victorieux. Courant vers le rebord de mon perchoir, je découpais une corde accrochée dessus, comportant des fanions de toute les couleurs symbolisant la fête en cours. Ma descente fut rapide et mouvementée, et je touchais le sol avec une certaine dureté, roulant plusieurs fois avant de pouvoir repartir dans la course. Le type qui voulait mourir s'était engouffré dans une rue animée, et se frayait un chemin parmi les fêtards. Malheureusement, cela couvrait mon champ de tir, m'empêchant de lui éclater le melon. Il me fallait juste un intervalle de temps et d'espace. Juste un seul.

Hey, Super-Juge, j'aurais besoin de toi pour occuper ce type, genre, maintenir son attention ailleurs que sur moi, ça roule? D'autant qu'on a plus trop le temps de faire quoi que ce soit, vu le monde, et surtout la proximité avec le chemin de passage du cortège...t'es avec moi ou tu veux toujours le zigouiller en solo?!?

Le travail d'équipe était la clé du succès, et on avait aucun droit à l'erreur. Surtout maintenant que l'on avait franchis la zone bondée de cette partie de la ville. On ne pouvait revenir en arrière, et chaque seconde pouvait être la dernière.

Les tournants n'en finissaient pas et les fuyards faisaient preuve d'une endurance étonnante. Pourtant Kathlyn ne perdrait pas son objectif des yeux, ses jambes se mouvant toujours à grande vitesse pour les talonner du mieux possible. Alors qu'elle pensait son homologue juge totalement à la ramasse, une bille de plomb se ficha dans le corps d'un des fugitifs, coupant nette sa course et le faisant chuter lourdement au sol. La magister ne chercha pas à le trouver du regard, sachant qu'il arrivait à la suivre sans trop de mal. Les bruits de la fête montaient à ses oreilles, grandissant à chaque pas qu'elle faisait. Impossible d'user de la chance, trop de risques, désormais… Ce fut alors que la voix de l'homme l'interpella. Cette manière désobligeante de s'adresser à elle ne lui fit ni chaud ni froid néanmoins elle écouta ce qu'il avait à dire.

Détourner son attention ne serait-ce que pendant une seconde. Un espace de temps mort que l'autre Juge remplirait par elle-ne-savait-quelle-action… Elle accepta néanmoins en opinant du chef, rechignant à puiser dans les pires magies afin de mettre fin à cette attaque suicide. Alors qu'elle accélérait, aidée par son élément de prédilection, son imagination faisait défiler d'innombrables scénarios et un seul fut sélectionné. Utiliser le magicis de l'illusion, une voie qu'elle n'usait quasiment jamais mais dont les bases étaient acquises. Rassemblant à nouveau le mana autour d'elle, ce fut d'un bond qu'elle arriva sur le toit d'un bâtiment adjacent. Quasiment toute son énergie serait consumée sur cette action si bien qu'elle espérait de tout son cœur que le brun fut suffisamment confiant dans son plan pour qu'il réussisse. Accélérant, elle put dépasser le kamikaze et du haut du bâtiment elle commença à tisser le mana. Le fuyard déboucha alors sur la rue sous ses pieds comme prévu et l'illusion était désormais terminée.

» Sur décret impérial, je vous confisque cet objet ! lâcha Kathlyn à grande voix.

La mage simulait tenir entre ses mains la bombe tandis que les yeux du suicidaire se levèrent rapidement vers elle. Instantanément, ceux-ci furent voilés par un rideau d'étonnement, ne sentant plus l'objet au creux de sa poitrine et le voyant dans les mains de la Juge. Une incompréhension qui ne durerait tout juste que quelques secondes… Au Petit Juge de jouer désormais.